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Les Figures de l'ombre voir ce complet film avec sous-titres 2160p

Jacques NOIRAY Figures du savant

Dans la panoplie des mythes fondateurs de la modernité, le savant, depuis l'époque des Lumières, occupe une position éminente. Sous ses deux aspects opposés et complémentaires (savant positiviste, savant romantique), il prend place, à côté du poète, de l'artiste ou du penseur, parmi les grandes figures intellectuelles et morales qui ont dominé la pensée du XIXe siècle. Associé à l'avènement de la science, il en incarne, pour le grand public, les prestiges, mais aussi les ambiguïtés. Riche de significations idéologiques, de potentialités imaginaires et d'énergie dramatique, il devait intéresser toutes les formes d'expression, dans la littérature (roman, théâtre) comme dans les arts (peinture, sculpture). Il est, à travers tout le XIXe siècle et bien au-delà, une des représentations les plus complètes et les plus chargées de sens du « grand homme ».

L'apparition de la figure du savant dans le panthéon idéologique et culturel moderne est étroitement liée à l'accession des sciences « naturelles » (physiques et surtout biologiques) au statut de formes supérieures du savoir humain, réservé naguère à la philosophie et aux mathématiques. La physiologie, la médecine, fortes de leurs progrès incessants, élargissent leur champ de recherches et leur visée théorique. Comme les sciences spéculatives, elles deviennent capables de proposer des systèmes généraux d'interprétation de la nature (classement des espèces de Linné, de Cuvier) et d'explication des mécanismes de la vie (Lamarck, Darwin). Mais surtout, plus pratiques, plus proches du réel, plus « utiles » aux yeux du public, elles semblent plus aptes à travailler au progrès et au bonheur de l'humanité. La représentation du savant va se ressentir de cette évolution. À l'image traditionnelle du savant spéculatif, homme d'études abstraites et de méditation solitaire, va se substituer progressivement, sur le modèle du physiologiste, la figure du savant moderne, homme d'expérimentation et d'action. Homme d'utilité publique aussi, car c'est au XIXe siècle que le savant, et notamment le médecin, devient un personnage social de premier plan, en même temps qu'il pénètre en force dans la littérature. de Desplein et Bianchon jusqu'au docteur Pascal, en passant par le docteur Larivière de Madame Bovary, tout le roman réaliste du XIXe siècle est dominé par la figure emblématique du grand médecin. À la fois homme de science et thérapeute, dévoué au service public, illustre par son rayonnement intellectuel et moral, le médecin est le premier des savants à acquérir cette notoriété sans laquelle il n'est pas de statut possible de « grand homme ». Tel est le cas, évidemment, de Pasteur, principale figure de la science au XIXe siècle. Mais d'autres avant lui, Cuvier, Broussais, Magendie, Claude Bernard, ou après lui, Charcot, Paul Bert, Marcellin Berthelot, auront connu cette promotion sociale et morale qui fait du grand savant un homme illustre, chargé d'honneurs et souvent couronné (consécration suprême) par une élection à l'Académie française, qui s'ouvre désormais plus libéralement aux grandes figures de la science '.

1. Un certain nombre de savants seront membres de l'Académie française au XIXe siècle. Cabanis (1795), Laplace (1816), Cuvier (1818), le mathématicien et physicien Joseph Fourier (1827), le physiologiste

ROMANTISME n° 100 ( -2)